Guide de survie philosophico-estival !
- VIE D’EXPATS
- Anouchka Sooriamoorthy
- 5 août 2021
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Alors que ce début du mois d’août marque symboliquement la moitié des vacances, un constat s’impose : la lune de miel est terminée. L’enthousiasme des retrouvailles en famille a laissé la place à des moments d’agacement, voire d’énervement, nous projetant face au paradoxe de l’expatrié : tristesse de l’éloignement familial, faible indulgence face à la famille retrouvée.
Trois conseils philosophiques pour vivre de la façon la plus sereine possible ce mois d’août.
1. Contenir ses espoirs
« On jouit moins de ce qu’on obtient que de ce qu’on espère » énonçait Jean-Jacques Rousseau. Il formulait ainsi l’une des complexités majeures de la nature humaine : le désir vient embellir l’idée de la chose désirée, créant inéluctablement une forme de déception au moment de l’assouvissement du désir.
Après de longs mois sans avoir vu la famille, après une année de télétravail, d’école à la maison, de tests PCR, et alors que le thermomètre dépassait les cinquante degrés sur le tarmac de l’aéroport de Dubaï au moment du décollage, l’idée de ces vacances familiales a été embellie par une imagination un peu trop exaltée.
On avait à l’esprit les images des grandes tablées où il n’y aurait qu’amour et bonne humeur, on attendait impatiemment les retrouvailles heureuses et sereines entre neveux et nièces, on rêvait de ce moment où les grands-parents s’occuperaient de façon aimante des enfants, nous permettant le répit tant attendu.
Au lieu de ces scènes dignes des ouvrages de Marcel Pagnol, on a assisté à des repas où les convives revêtaient malgré eux la fonction de casques bleus de l’ONU, tentant d’empêcher le gendre d’assommer à coup de Lancet magazine le beau-père antivax ; la joie des retrouvailles entre cousins s’est transformée en pugilat lorsque les différentes méthodes éducatives se sont entrechoquées dans un concert de cris ; et les grands-parents ont, en quelques jours, détruit tous les efforts de discipline en permettant les dessins animés au réveil et la glace trois saveurs en guise de déjeuner.
Si notre imagination avait été plus réaliste et moins emportée, si nous avions envisagé les terrains glissants inévitables dans la grande marche de l’été, nous aurions été mieux préparés à ces longues semaines en famille.
Un tel conseil arrive cependant de façon bien tardive et, en ce début du mois d’août, la déception due au décalage entre la famille rêvée et la famille réelle a déjà eu maintes fois lieu…
2. Prendre exemple sur les porcs-épics
« Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étaient ballottés de ça et là entre les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable ».
C’est ainsi qu’Arthur Schopenhauer illustre la nature sociale de l’homme : nous ne pouvons nous passer des autres, mais une trop grande proximité avec eux génère de l’agressivité (à croire que Schopenhauer a assisté en catimini à mes repas de famille !).
La question est évidemment de savoir, dans le contexte familial, quelle serait cette bonne distance à adopter, comment la définir et comment la mettre en œuvre ? Les deux mètres de distanciation sociale officiellement requis seraient ici de peu d’utilité, les interjections virulentes de l’oncle Raymond par-delà la table de cinq mètres l’ayant démontré.
Il y a cependant une distanciation géographique et psychologique possible : se porter volontaire pour aller faire les courses juste avant d’être victime d’hypertension ; aller faire un footing au moment où, oubliant tous les principes d’éducation bienveillante, l’envie irrépressible de hurler sur la petite nièce incarnation de l’enfant-roi-tyrannique se fait ressentir ; ignorer l’énième stéréotype raciste prononcé par la tante Gertrude en se plongeant dans un roman qui nous emporte aux côtés d’un agriculteur guatémaltèque du 19ème siècle.
3. Demeurer de marbre
On ignore parfois que le terme stoïque vient du courant philosophique du stoïcisme dont le principe le plus connu est probablement celui énoncé par Epictète : « Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous ». Le malheur et la frustration viennent de la confusion courante que nous effectuons entre ces deux catégories, pensant maladroitement que nous pouvons apporter une modification à ce qui ne dépend pas de nous.
Or, il est très peu probable, et ce malgré un déjeuner fleuve de quatre heures sponsorisé par le caviste local, de parvenir à faire changer d’avis son père sur le fait que la France soit une dictature fasciste digne des heures les plus sombres du Chili de Pinochet. Si on ne peut changer le monde, on peut du moins changer sa représentation du monde, et c’est l’invitation que lancent les philosophes stoïciens.
Ainsi, se dire que ces différences parfois abyssales entre ceux qui nous sont si proches apportent une certaine animation à table, brisent la monotonie, sont une école de la vie pour la jeune génération. Et comprendre que ce qui dépend de soi, c’est de ne pas se laisser embarquer dans des argumentations fallacieuses qui provoqueront, au mieux crispation et agacement, au pire un nouveau Waterloo.
Si je ne peux maîtriser les pensées des autres, je peux contrôler les miennes, m’évertuer à les alimenter, à les enrichir, à les remettre en question, à les consolider. Je peux refuser de rejouer le rôle de l’adolescente impulsive que j’étais pour adopter une posture adulte, détachée et rationnelle.
Et si rien de tout cela ne fonctionne, rappelez-vous que le grand Friedrich Nietzsche a rompu plusieurs fois les liens avec sa sœur Elisabeth après qu’elle a épousé un antisémite, et qu’il l’avait surnommé le lama, en référence à l’animal qui crache pour se défendre.
Il n’est pas certain que Nietzsche aurait mieux appréhendé que vous ces retrouvailles familiales !
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