Parents expat : comment gérer le bilinguisme à la maison ?
- SCOLARITÉ VIVRE AU QUOTIDIEN
- Hélène Malik
- 18 avril 2018
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Le bilinguisme, en tant que parents vous vous posez beaucoup de questions sur l’apprentissage de la (et des) langue(s) chez vos enfants ! Comment élever mon enfant dans un milieu bilingue, voire plurilingue ? Va-t-il s’en sortir avec toutes ces langues différentes qu’il entend ? D’ailleurs, il mélange déjà les mots des différentes langues, et les structures de phrases ! Quelle langue dois-je lui parler ? Comment l’aider ? Nous avons demandé conseil à une professionnelle, Hélène Malik, orthophoniste à Dubai. Spécialiste des problématiques liées à l’apprentissage de plusieurs langues, elle nous oriente sur les bonnes pratiques à adopter.
Monolinguisme Vs bilinguisme ?
Le bilinguisme n’est pas une exception, c’est le monolinguisme qui l’est ! Il existe environ 6 800 langues dans le monde, et seulement 200 pays, on arrive vite à la même conclusion que plusieurs études scientifiques sur le sujet. Plus de la moitié de la population mondiale est bilingue voire plurilingue. Vous qui vivez à Dubai avez dû vous en rendre compte. Toutes ces personnes que vous rencontrez qui maîtrisent parfaitement l’anglais, leur langue maternelle et encore une autre langue sont nombreuses… Comme quoi, le cerveau humain est vraiment magique et nous permet de faire des choses incroyables.
Nous avons dressé une liste de questions fréquemment posées par les parents, Hélène y répond.
Si les deux parents parlent en deux langues différentes à leur bébé, cela va t-il retarder l’apparition de son langage ?
Non. Aucune étude ne montre qu’un retard de langage est induit par un bilinguisme. Ne comparez pas le développement du langage de votre jeune enfant bilingue à celui d’un enfant monolingue. Un enfant monolingue pourra par exemple avoir un stock de 500 mots dans sa langue pendant que l’enfant bilingue aura lui aussi un stock de 500 mots, mais réparti dans les deux langues.
Eh oui, l’enfant bilingue ne va pas entrer dans chacune des langues suivant le même rythme. Il connaîtra un mot dans la langue A, mais pas la langue B ; il maîtrisera plus facilement les structures de phrases de la langue B que celles de la langue A, etc. Et puis, il va mélanger les deux langues. Ce qui est normal ! C’est une stratégie que l’enfant utilise pour combler un vide.
Tout enfant, puisqu’il est en cours d’apprentissage, a des manques à combler sur le plan linguistique ; et chacun va avoir des stratégies différentes pour le faire. Un enfant monolingue utilisera plutôt des mots comme « truc » ou « euh ». Un enfant bilingue va utiliser son autre langue pour combler les trous. Au fur et à mesure de son développement l’enfant aura autant de vocabulaire dans une langue que dans l’autre. Il n’aura plus de raison de mélanger les deux au sein d’une même phrase.
A quel moment commencer à introduire la nouvelle langue ?
Commencez le plus tôt possible. Le cerveau du jeune enfant est prodigieux, il est encore en pleine formation. Plus on est jeune, plus on est capable d’entendre les différents sons des différentes langues. Par exemple pour un Français non arabophone, entendre les différents « h » ou « r » en arabe sont pour nous quasi impossible ; il n’en est rien pour le bébé ou le jeune enfant. Par conséquent il sera facile de les comprendre et les reproduire. Ainsi, plus vous commencerez tôt à utiliser une langue, plus il sera facile pour votre enfant de la maîtriser. Et sachez qu’il n’est jamais trop tard !
Quelles attitudes favoriser pour un bon apprentissage des différentes langues chez l’enfant ?
Le conseil qui fut prodigué il y a quelques années de « Un parent – une langue » est tout à fait obsolète. A l’époque, l’état des recherches était moins avancé qu’aujourd’hui et on pensait que l’enfant aller confondre les langues. Le fait d’entendre plusieurs langues différentes serait pour lui un chaos linguistique. Les nouvelles études montrent qu’il n’en est rien ! L’enfant distingue les différentes langues, et ce dès la naissance, même si un même parent parle deux langues différentes.
Aujourd’hui, la stratégie la plus recommandée consiste à trouver des moments où l’on va parler une langue, puis un autre moment où on va parler l’autre langue. Ne pas tout mélanger à tout moment. Le principe, c’est de parler chaque langue dans chaque situation possible, pour donner à l’enfant le plus de vocabulaire possible. C’est une nouvelle habitude à prendre.
Avez-vous quelques exemples concrets ?
Au moment du repas, on choisit de parler français, ce qui va lui donner le nom des aliments, mais aussi les actions que l’on fait à ce moment (couper, se servir, finir, ne pas gâcher, etc).
Pour le moment du bain et de l’habillage, en anglais, pour avoir le nom des parties du corps et les vêtements en anglais ; de même que les actions (frotter, rincer, mouiller, sécher…). Et un autre jour, on inverse. On fera de même pour les discussions : on peut décider de parler le matin en français et de discuter le soir en anglais. Le lendemain nous inverserons (varier d’une semaine sur l’autre plutôt que d’un jour sur l’autre est également possible).
Quelques exemples :
– Pendant le repas : nommer les couverts et les objets utilisés, ce que mange l’enfant, et décrire les actions : « Je prends la fourchette, le couteau et… hop ! Je coupe la pomme de terre ! » ou encore « Oh, tu plonges ta cuillère dans le yaourt ! »
– Pendant le bain : nommer les différentes parties du corps que vous lavez : « Oh regarde, je lave ton bras ! Avec ton bras tu peux… lancer une balle ! » ou encore « Je lave ton nez ! Avec le nez, on peut sentir toutes les odeurs. Tu sens l’odeur d’abricot du savon ? »
Au plus on diversifie les situations dans lesquelles on parle une langue ou une autre, au plus on diversifie le vocabulaire que l’on va utiliser. Et surtout, on ne restreint pas une langue à un seul usage. Je pense par exemple à certains parents qui parlent principalement une langue A mais qui, sous le coup de l’émotion (colère, lors des remontrances quand l’enfant fait une bêtise) vont spontanément utiliser une autre langue B. Le problème, dans cette situation, c’est que l’enfant va associer cette langue B à quelque chose de négatif. Cela ne va pas du tout lui donner envie d’apprendre et d’utiliser cette langue. En fait, la langue, quelle qu’elle soit, doit être perçue comme un tout, et non pas comme étant dépendante du contexte.
Comment aider mon enfant à maitriser son bilinguisme ? Les jeux pédagogiques sur tablette ou regarder des dessins animés dans les deux langues ?
Non. Je sais que les efforts déployés par le marketing vous font penser que c’est une bonne idée, mais c’est faux. Une langue est avant tout un moyen de communication – et il faut être deux pour communiquer. Alors, pour apprendre une langue, il faut être en interaction d’humain à humain. Il faut entendre les phrases en contexte, pouvoir montrer que l’on n’a pas compris pour que l’autre se réajuste. Il est important que l’enfant puisse tenter de reproduire les mots et que le parent le félicite ou le corrige !
Si je vous mets 3 mois face à des films en mandarin, vous n’apprendrez pas le mandarin. Il en est de même avec votre enfant. Sans rentrer dans le débat de la consommation d’écran chez le jeune enfant qui n’est pas le sujet de cet article, s’il vous plaît, éloignez au maximum vos enfants des écrans (pour recommandations : tolérance 0 avant 3 ans ; pas de jeux virtuels avant 6 ans ; maximum 7h/semaine d’écran jusque 9 ans).
Quels supports utiliser pour m’aider, en tant que parent, pour l’apprentissage des langues ?
Votre outil principal, c’est vous-même. Éveillez sa curiosité en lui montrant tout ce qui vous entoure, en écoutant les différents bruits, en nommant les odeurs, en voyant chaque moment comme une opportunité de discuter (raconter sa journée, raconter de quoi on a rêvé, ce qu’on va faire ce week-end etc.)
Par ailleurs, les chansons, les comptines et les livres sont des outils formidables, tant sur la richesse du vocabulaire, les structures syntaxiques, le soutien apportés par le rythme et les gestes associés. Découvrez Sharing Stories une bibliothèque de livres pour enfants en français et en anglais livrés chez vous.
Ces différents outils renforcent également la mémorisation et la compréhension. Utilisez-les dans chacune des langues parlées à la maison, et vous mettrez toutes les chances du côté de votre enfant pour qu’il développe un beau bilinguisme !
La mélodie des chansons et des comptines permet à l’enfant de mieux percevoir les différents sons, les différentes intonations et les règles de grammaire. La perception du langage est facilitée car les zones traitant le langage et la musique sont similaires. Le chant permet de voir plus facilement le découpage des mots et des phrases grâce à la mélodie et cela facilite donc l’apprentissage d’une nouvelle langue ou de nouveaux mots. Les comptines permettent également de découvrir de nouvelles formes de conjugaison, de nouveaux verbes, qu’on n’utiliserait pas spontanément dans des discussions de la vie quotidienne.
Tout ceci permet aux enfants d’améliorer leur lexique : le côté ludique de la musique permet aux enfants de répéter plusieurs fois le nouveau vocabulaire et donc de le mémoriser plus rapidement. La structure des comptines permet de mieux travailler la prononciation des enfants notamment grâce à l’agencement des mots dans la phrase. Les sons prononcés se répètent plus souvent que dans la réalité, ce qui aide beaucoup !
Le livre partage des avantages avec la comptine (nouveau vocabulaire, nouvelles structures de phrases), mais il devient aussi un support de discussion : « A ton avis, il va se passer quoi après ? » ; « Olalalala… tu as vu ce qu’il s’est passé ?? ça t’est déjà arrivé à toi ? » ; « Et toi, à sa place, tu ferais quoi ? ». Par ailleurs, cela le familiarise avec la forme écrite des mots, et facilitera ses capacités de lecture et d’écriture. C’est du tout-en-un !
Hélène Malik, orthophoniste (français/anglais)
CAMALI clinic
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