Lectures d’été
- CULTURE - ART - THÉÂTRE
- Frédérique Vanandrewelt - Gradisnik
- 7 juillet 2020
- 95
- 17 minutes read
J’ai beaucoup lu ces dernières semaines et je me réjouis de partager enfin mes nombreux coups de cœur avec vous, j’espère vous donner quelques idées de lecture pour accompagner siestes et flâneries estivales.
- Pauses policières.
Lectures légères et captivantes pour les amateurs de suspense…
1 – Au soleil redouté de Michel Bussi
« – Écoute-moi bien, Maïna, on appelle cet archipel la terre des hommes, Fenua Enata, mais on a tort. Ici les femmes règlent leurs affaires seules. Ne l’oublie jamais ! Ne laisse aucun homme te voler ta vie. Nous sommes des reines. Nous sommes des marquises ! »
Trois points forts en faveur du nouveau Bussi.
D’abord, il nous emporte vers une destination lointaine et paradisiaque : les Marquises. Fleur de tiaré, d’hibiscus et de frangipanier, cuisine locale à base de coco et d’umara, manas et tikis, tatouages marquisiens… tout y est ! Ensuite, le suspense est cette fois encore ménagé jusqu’à la fin à force de fausses pistes et de retournements de situation. On ne s’ennuie pas et comme toujours on s’y perd avec plaisir ! Enfin, on s’attache à des personnages qui deviennent très vite familiers, cinq apprenties écrivaines sélectionnées par un auteur de best -seller qui séjournent sur une île de l’archipel dans un Huis clos parfaitement orchestré…
Mais sélectionnées pour quoi exactement ?
A vous de le découvrir car chacune est venue avec un objectif particulier et leur rencontre sera sanglante ! Avec Jacques Brel en fond sonore bien sûr…
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2 – Le mystère Sammy Went de Christian White
« Il sortit une image de l’enveloppe et me la tendit. C’était un visage au regard inexpressif et aux traits vaguement familiers. L’image n’était ni une photo ni un dessin ; il s’agissait d’une recomposition en 3D, figurant une femme aux cheveux noirs, au grand nez aquilin et aux lèvres serrées, sans expression, avec cette légende : Sammy Went telle qu’elle pourrait être autour de 25/30 ans. »
Une lecture captivante, hypnotisante comme les serpents du révérend Dale dans l’église de la lumière intérieure.
Kim est une trentenaire australienne, professeur de photographie, une fille sans histoire jusqu’au jour où un inconnu lui met sous le nez la photo de Sammy, petite américaine enlevée 28 ans plus tôt à ses parents… Kim ou Sammy ? La jeune femme décide de remonter le temps et nous emporte dans un tourbillon irrésistible.
Le mystère Sammy Went est un page- turner passionnant à lire toutes enquêtes cessantes !
- Pauses au féminin.
Lectures profondes et inspirantes pour les amateurs d’histoires vécues…
3 – Le silence d’Isra d’Etaf Rum
« Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire. Comme si ses aspirations avaient la moindre importance. Comme si son avis entrait en compte. Si cela n’avait tenu qu’à elle, elle aurait remis son mariage à dans dix ans. Elle se serait inscrite à un programme d’études à l’étranger, serait partie en Europe, peut-être à Oxford, aurait passé ses journées dans des cafés et des bibliothèques un livre dans une main et un stylo dans l’autre. Elle serait devenue auteure pour aider les gens à comprendre le monde à travers ses histoires. Mais son avis n’avait aucune importance. Ses grands-parents lui avaient interdit de s’inscrire à l’université avant le mariage, et elle ne voulait pas gâcher sa réputation au sein de leur communauté en leur désobéissant. »
Un très beau premier roman qui nous emmène de La Palestine où tout commence par le mariage arrangé d’Isra avec Adam à New York où leur fille aînée Deya doit faire le choix le plus important de toute sa vie.
Isra ne s’attendait pas en arrivant à Brooklyn à vivre dans le sous-sol d’une maison régentée par sa belle-mère, elle croyait que les hommes dans la tradition du monde arabe étaient libres et tout puissants. Elle ignorait que les naissances successives de quatre filles la réduiraient à néant dans la petite cuisine.
Deva ne savait de ses parents, Isra et Adam, que ce que Farida, sa grand-mère, avait bien voulu lui dire. Elle ignorait ce qu’était devenue sa tante Sarah, elle n’avait que des souvenirs confus de son enfance et elle tentait de trouver un sens à sa vie et à celle de ses trois sœurs dans cette même petite cuisine de Brooklyn.
Etaf Rum nous plonge dans un monde de traditions cruel et impitoyable où chacun doit tenir sa place, un monde importé du pays d’où l’on vient. Elle dévoile toutes ces femmes qui cachent une solitude et un dénuement insoupçonnés pour qui les croise dans les avenues de nos grandes villes anonymes.
Mais l’identité et l’ épaisseur qu’elle leur donne changeront sans aucun doute notre regard !
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4 – La fabrique du monde de Sophie Van der Linden
« Il fait froid dehors. Je m’accroche comme si ma vie en dépendait au blouson de Cheng. J’ai noué mon écharpe sur ma bouche et mon nez, je ferme les yeux. Qui me piquent, je voudrais me rendormir. Le froid m’en empêche. Je ne comprends pas comment je suis passée du bonheur total à un cauchemar absolu. »
Un superbe texte court et dense aux accents tragiques.
Mei travaille et vit dans une de ces « fabriques du monde » en Chine. Elle coud chemises, costumes et tee-shirts au rythme des slogans encourageants , « Votre ardeur au travail vous offre le meilleur des contentements » et ne ménage pas sa peine dans l’attente des fêtes de fin d’année qui lui permettront de faire une pause de quatre jours auprès de ses parents.
Mais le contremaitre en a décidé́ autrement… Il juge son attitude offensante et la prive de paye et du même coup, de congés.Mei se trouve alors seule et livrée à elle-même dans l’usine désertée. Pas tout à fait seule puisqu’un nouveau contremaitre est resté lui aussi et qu’ils vont partager une parenthèse entre rêve et réalité́. Le retour au monde du travail n’en sera que plus dur et Mei ne sortira pas intacte de cette expérience dont la beauté́ n’aura d’égale que la cruauté.
On lit ce récit à la 1ère personne d’une seule traite comme une confession ou un texte initiatique.Sa lecture m’a évoqué́ le magnifique À la ligne de J Ponthus pour l’évocation douloureuse mais aussi positive du geste professionnel mille fois répété́ et tellement assimilé par le corps qu’il devient presque inconscient et acquiert alors une forme de perfection.
- Pauses au masculin.
Lectures émouvantes et stimulantes pour les amateurs d’émotions vraies…
5 – Dans les prairies étoilées de Marie Sabine Roger
« C’est vrai qu’on n’en avait jamais parlé́ clairement, tous les deux. Jim Oregon ne sait pas qu’il est inspiré de quelqu’un qui a vraiment vécu. Et qui est vraiment mort. Il ne sait pas qu’il est un héros de fiction, et que toute ressemblance avec un homme existant ou ayant existé́ n’est pas purement fortuite. Pendant que j’essaie de lui expliquer la genèse en deux mots, il saute à bas de la barrière, et s’éloigne à grands pas. Il se contre-fout de ce que je lui raconte.Il ne m’écoute même pas. »
Merlin est un homme heureux, il partage la vie et les rêves de Prune. Merlin est un illustrateur heureux aussi, son vieux pote Laurent alias Jim Oregon l’accompagne depuis longtemps déjà̀ dans la vie et dans les albums dont il est le héros. Il faut dire que Merlin vit en dessins ou dessine sa vie, chaque scène aussi banale soit elle devient une vignette où les fâcheux par exemple font les frais de vengeances crayonnées.
Et puis un jour, Laurent meurt et laisse Merlin et Jim orphelins mais héritiers d’une lourde tâche… Marie-Sabine Roger aborde dans ce roman aux apparences légères et souriantes la question des personnages qui taraude les écrivains depuis les débuts du roman. L’auteur est-il vraiment le maitre de ses personnages? Comment un être de papier se met à gouverner celui qui l’a imaginé́ ?
J’ai beaucoup aimé́ la réflexion menée par l’auteur de La tête en friche dans cette histoire qui commence avec la découverte de la maison idéale, isolée dans une forêt du sud-ouest, écrin parfait pour faire vivre ou mourir un monde imaginaire.
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6 – Dîner à Montréal de Philippe Besson
« Elle ajoute pour couper court à mes sous-entendus : on vit bien à Montréal. Elle se fait plus précise : on habite sur le Plateau. De l’appartement, on a une vue imprenable sur le parc, et sur les pins, c’est Paul qui tenait aux pins, il dit que ça lui rappelle Les Landes, tu ne peux pas t’empêcher d’être un peu nostalgique quand tu vis loin de chez toi ».
On ne présente plus Philippe Besson. Je l’ai découvert il y a quelques années avec Un garçon d’Italie, roman que j’ai adoré et dont j’espère à chaque nouvelle publication retrouver la grâce et l’émotion.
Avec ce dîner à Montréal, je suis comblée. Le narrateur retrouve en effet un vieil amour… Paul… Luca Salieri, le noyé de Florence… Des retrouvailles presque par hasard, un dîner pour parler du temps passé mais pas à deux, avec les conjoints; c’est le début d’un huis clos dans un restaurant gay à Montréal. Philippe Besson décrit et analyse avec minutie les comportements des quatre convives, il dissèque la conversation. Il nous livre les propos dits mais aussi les non-dits, on suit le cheminement de sa pensée, ses hésitations, ses espoirs, ses interprétations.
Il brosse un autoportrait qui me semble totalement sincère et honnête loin des représentations et des jeux de séduction des plateaux télé.