De beaux livres illustrés à mettre sous le sapin
- CULTURE - ART - THÉÂTRE
- Frédérique Vanandrewelt - Gradisnik
- 7 décembre 2022
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Nos classiques se parent de leurs plus beaux atours pour séduire petits et grands au pied du sapin. Ces jolies éditions subliment les textes en les accompagnant de superbes illustrations qui permettent de conjuguer les talents des écrivains, des dessinateurs et des peintres associés.
• Le flot de la poésie continuera de couler, J.M.G Le Clézio – Avec la collaboration de Dong Qiang
C’est le poème de Li Bai (701-762) « Seul assis face au mont Jingting » qui a permis à J.M.G Le Clézio d’entrer dans la poésie Tang.
Ce grand voyageur était depuis longtemps fasciné par la Chine et son amitié avec le professeur Dong Qiang a nourri au fil des années le projet d’une anthologie illustrée de la poésie Tang. Le résultat est une merveille didactique, jamais ennuyeuse ; les poèmes de Li Bai et de Du Fu évoquent la Chine de la dynastie Tang qui a régné de 618 à 907, textes éclairés par les commentaires de l’auteur.
« Nuit d’automne
Chandelle argentée, lumière automnale au ton froid
Avec son petit éventail de soie légère, la jeune femme écarte les lucioles
La nuit est si fraîche, on dirait qu’elle a répandu de l’eau sur les marches
Alors elle s’étend et regarde dans le ciel le Bouvier et la Tisserande. »
Hua Yan, Carnet de paysages, feuillet XIII
« Le flot de la poésie continuera de couler » est l’épitaphe inscrit sur la tombe de Li Bai, c’est aussi le titre de cette belle invitation au voyage dans une poésie douce et harmonieuse.Mais ce sont les illustrations enchanteresses qui en feront un superbe cadeau de Noël pour les amateurs de peinture chinoise.
• Des souris et des hommes, John Steinbeck – Illustré par Rébecca Dautremer
Des Souris et des hommes est un grand classique de la littérature américaine écrit par John Steinbeck en 1937. Prix Nobel de littérature en 1962, il a mis en lumière des personnages issus de la classe ouvrière confrontés à la grande dépression.
Georges et Lennie sont des ouvriers agricoles journaliers, inséparables ; ils vont de ferme en ferme au gré des offres de travail. Georges veille sur Lennie, une force de la nature mais simple d’esprit ; comme un enfant, il est attiré par tout ce qui est doux mais inconscient de sa puissance, il lui arrive fréquemment de tuer les souris et les chiots qu’il caresse avec passion.
Pour tranquilliser son ami, Georges lui raconte souvent comment un jour ils élèveront des lapins dans leur propre ferme… Au ranch de Curley où ils travaillent pendant un temps, Lennie va s’attirer de graves ennuis dont seul Georges pourra le sortir. Une tragédie illuminée par une histoire d’amitié inconditionnelle.
« -C’est pas tellement drôle que, lui et moi, on circule ensemble, dit Georges finalement. Lui et moi, on est nés tous les deux à Auburn. J’connaissais sa tante Clara. Elle l’a pris quand il était bébé et elle l’a élevé. Quand sa tante Clara est morte, Lennie est venu travailler avec moi. Puis au bout de quelques temps, on s’est comme qui dirait habitués l’un à l’autre. »
Antoine Ullmann et Jonathan Bay, les éditeurs de Tishina ont rêvé cette adaptation graphique d’un grand roman après Soie d’Alessandro Baricco et Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé. C’est Rébecca Dautremer qui a réalisé les magnifiques illustrations qui font de ce livre un véritable bijou d’édition.
• La panthère des neiges, Sylvain Tesson – Photographies de Vincent Munier
Lorsque Vincent Munier, photographe animalier propose à Sylvain Tesson de l’accompagner dans une expédition au Tibet pour tenter d’apercevoir la panthère des neiges, ce grand aventurier de la littérature ne peut résister à l’appel de la nature et de l’amitié. Cette merveilleuse expérience donnera un roman de Sylvain Tesson couronné par le prix Renaudot en 2019 et un documentaire de Marie Amiguet et Vincent Munier en 2021.
Sylvain Tesson est un amoureux des grands espaces, il nous raconte au fil de ses romans l’émerveillement qu’il ressent au cours de ses pérégrinations. Cette fois, c’est une autre épreuve qui l’attend et pas des moindres pour un hyperactif comme lui, celle de l’immobilité. A l’affût pendant des heures pour surprendre l’animal, il s’inspire du Taoïsme et s’adonne à la méditation. Il vante au fil de ces très belles pages, les vertus de l’invisibilité, de la discrétion et de la dissimulation.
« – Tesson ! Je poursuis une bête depuis six ans, dit Munier. Elle se cache sur les plateaux du Tibet. J’y retourne cet hiver, je t’emmène.
– Qui est-ce ?
– La panthère des neiges. Une ombre magique !
– Je pensais qu’elle avait disparu, dis-je.
– C’est ce qu’elle fait croire. »
Un livre enrichi des photos de l’expédition pour tous ceux qui rêve d’aventure dans ce qu’il nous reste de monde sauvage.
• Madame Bovary, Gustave Flaubert – Dessins d’Yves Saint Laurent
On ne présente plus Madame Bovary, c’est même un titre qui pourrait en rebuter certains. Et pourtant, ce chef d’œuvre de Gustave Flaubert est d’une intemporalité saisissante. Après une jeunesse protégée dans la ferme paternelle, Emma se laisse séduire par le médecin de la famille qui l’emmène à Rouen où elle espère mener la grande vie. La déception est grande, Emma s’ennuie très vite dans sa petite vie bourgeoise et se met à rêver d’autres horizons…Une danse au bal de la sous-préfecture la plongera dans les affres de l’amour fantasmé.
Yves Saint Laurent découvre le roman à l’adolescence et bovaryste convaincu, il recopie les deux premiers chapitres puis il réalise de superbes dessins pour illustrer l’ouvrage. Conservées par la Fondation Pierre Bergé, elles sont publiées dans cette élégante réédition du roman chez Gallimard qui séduira les inconditionnels de Madame Bovary bien sûr mais aussi les lecteurs moins convaincus. Les admirateurs du couturier reconnaitront la toucher du maître dans ses créations de jeunesse pour l’héroïne de Flaubert.
« Ils commencèrent lentement, puis allèrent plus vite. Ils tournaient : tout tournait autour d’eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet, comme un disque sur un pivot. En passant auprès des portes, la robe d’Emma, par le bas, s’éraflait au pantalon ; leurs jambes entraient l’une dans l’autre ; il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une torpeur la prenait, elle s’arrêta. Ils repartirent ; et, d’un mouvement plus rapide, le vicomte, l’entraînant, disparut avec elle jusqu’au bout de la galerie, où, haletante, elle faillit tomber, et, un instant, s’appuya la tête sur sa poitrine. Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit à sa place ; elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux. »
« Souvent je pense aussi à Madame Bovary. Ce personnage est extrêmement contemporain. Madame Bovary exprime le désarroi de femmes qui est le même aujourd’hui qu’il y a un siècle. » Y S L
• Charlotte de David Foenkinos – Gouaches de Charlotte Salomon
Je vous avais parlé de ce roman lors de sa sortie il y a déjà quelques années. David Foenkinos y évoque une jeune allemande juive, Charlotte Salomon, artiste peintre morte à Auschwitz alors qu’elle attendait un enfant. Il fait de cette femme dont il se sent très proche un portrait particulièrement attachant. C’est comme un long poème qu’il lui chuchoterait à l’oreille et que viennent sublimer les gouaches de l’artiste.
C’est un texte à part dans l’œuvre du romancier qui mérite d’être découvert ne serait-ce que pour faire la connaissance de Charlotte et la garder dans nos mémoires. On ne peut qu’être touché par l’œuvre de celle qui réussit à entrer à l’Académie des arts de Berlin en 1936 et dut la quitter alors qu’elle avait remporté la première place au concours. Réfugiée en France, elle sera déportée avec son époux à la suite d’une dénonciation. Elle laisse derrière elle une autobiographie Vie ? Ou théâtre ? et presque un millier de gouaches. Pour les férus d’art mais pas seulement…
« La dernière peinture est saisissante de force.
Charlotte se dessine face à la mer.
On la voit de dos.
Sur son corps, elle écrit le titre : Leben ? Oder Theater ?
C’est sur elle-même que se referme l’œuvre dont sa vie est le sujet. »
« Vie ? ou théâtre ?»
• Les Contes de Perrault – Illustrés par l’art brut sous la direction de Bernadette Bricout et Céline Delavaux
Les Éditions Diane de Selliers associent avec bonheur les Contes de Charles Perrault aux créations de figures majeures de l’art brut. Les onze contes, rassemblés pour la première fois en 1781 : trois contes en vers (1694), et huit contes en prose, connus sous le nom des « Contes de ma mère l’Oye », (1697) sont en effet réunis dans une luxueuse édition.
Nous connaissons tous Cendrillon, la Belle au bois dormant, le Petit Poucet mais pas toujours dans leurs versions originales ; nous n’avons pas toujours eu l’occasion de lire l’intégralité des contes ni leurs morales initiales. Ainsi, les derniers vers du Petit chaperon rouge, « Qui ne sait que ces loups doucereux, / De tous les loups sont les plus dangereux. » ne laisse aucun doute sur la visée éducative des contes au XVIIe siècle.
Les correspondances entre les textes et les tableaux qui les illustrent sont impressionnantes. Ils se répondent et se donnent mutuellement de nouvelles perspectives. C’est Jean Dubuffet qui avait utilisé cette expression pour désigner les productions de personnes exemptes de toute culture et formation artistiques. Il avait ainsi constitué dès 1945, une collection d’œuvres créées par des marginaux et autres êtres en rupture avec la société. Dans ces créations affleurent les sentiments primaires comme la peur et l’angoisse mais aussi la joie et l’émerveillement ; sentiments que l’on retrouve dans tous les contes.
« Un cœur pur d’August Walla célèbre l’amour naissant entre une jeune bergère et un prince ; une créature de Jean Pous, aux multiples bras, aux ailes de libellule et au bon regard incarne une exquise fée marraine : on l’imagine déjà transformer la citrouille en carrosse ; la chaussure de Cendrillon apparaît comme un songe chez Aloïse Corbaz ; le chat de Marcel Drouin, alias Zizi, est bien botté et ses yeux masqués de bleu laissent à penser qu’il sauvera son maître de la pauvreté. Henry Darger, avec ses mains jaunes sorties de l’obscurité, nous rappelle l’effroyable massacre des petites filles de l’Ogre du Petit Poucet. »
Présentation des Editions Diane de Selliers
Jean Pous,
Pour tous ceux qui ont gardé leur âme d’enfant.
Le petit plus : une chronologie qui présente la vie de Charles Perrault à la lumière des événements politiques et culturels de son époque et qui permet de situer les contes dans l’esprit du temps.
• Rroû, Maurice Genevoix – Illustré par Gérard Dubois
On connaît Maurice Genevoix pour Ceux de 14, roman-témoignage de son expérience douloureuse de poilu. Il a pourtant écrit de nombreux ouvrages dont Raboliot, l’histoire d’un braconnier en Sologne qui a remporté le prix Goncourt en 1925. Malheureusement un peu tombé dans l’oubli, il était un grand observateur de la nature ce qui lui vaut peut-être un regain d’intérêt.
Ce grand classique de livres pour enfants paru en 1930 est réédité dans une très belle version illustrée par Gérard Dubois. Rroû est un chaton qui découvre le monde qui l’entoure. Quand Clémence, la vieille bonne d’un médecin qui l’a adopté peu à peu à force de caresses et de friandises, l’emmène à la maison de campagne pour l’été, un autre univers se dévoile, qui le ravit. De retour en ville, il ne peut se résoudre à vivre loin de cette nature qui l’enchante et s’enfuit pour retrouver les bois et les prairies. Mais l’hiver arrive et le paradis escompté pourrait bien cacher de nombreux dangers.
Derrière la simplicité du récit se cache une vision à la fois poétique et réaliste de la vie qui n’a pas vieilli. On suit l’apprentissage du jeune félin et l’on devient chat, petits et grands enfants s’identifieront forcément à Rroû !
« C’était bon de seulement attendre pendant que le soleil pâlissait sous les ronces, pâlissait dans le ciel sous le voile des flottantes vapeurs. Elles avaient une blancheur soyeuse, elles semaient à travers l’espace un lent floconnement de duvet. Le froid, toujours intense, s’altérait dans sa profondeur ; sa substance même changeait, touchée de l’unanime langueur où Rroû plongeait avec l’arbre et la terre, dans un enlisement bienheureux. »
Un joli livre pour les amoureux de la nature et de nos amis les chats.
• Enfances, Sempé
Le père du Petit Nicolas, créé avec son compère René Goscinny, nous a quittés le 11 août 2022. Son trait minimaliste, reconnaissable entre tous et empreint de nostalgie évoque les cours de récréation et les vacances au bord de la mer. L’album que j’ai choisi aujourd’hui est sorti pour un autre Noël, celui de 2011, mais il n’a pas pris une ride !
Et pour cause, Sempé raconte son enfance à Marc Lecarpentier illustré de dessins de différentes époques dont beaucoup étaient inédits à la parution de l’album.Souvenirs doux-amers au sein d’une famille troublée, Sempé se confie sur les rêves de sa jeunesse bercée par l’orchestre de Ray Ventura, sur son parcours professionnel et ses mots sont aussi doux et sensibles que ses dessins. On découvre les failles d’un homme qui avait « envie de dessiner des gens heureux » pour s’évader d’un quotidien tragique.
Enfances est au pluriel car chacun peut se reconnaître au détour d’une page, souvenirs d’école, de fêtes de famille, de parties de pêche ou de football, de leçons de danse et de musique, de promenades au square, en forêt ou au bord de la mer, ses dessins sont universels.
«(…) Je jouais au football dans deux endroits. Dans un patronage où on connaissait mes parents et puis à l’école où là, on ne connaissait pas mes parents. A l’école, j’étais plutôt bon joueur et au patronage, j’étais une cloche. Pourquoi ? C’est très simple : je mentais tout le temps. Je vous ai raconté que, à une heure précise, je savais s’il allait y avoir une bagarre chez moi. A partir de ce moment-là, je ne me rappelle plus très bien quelle était l’heure mais je sais que le match de foot était commencé, donc ça devait être entre quinze heures quinze et quinze heures trente. A partir de ce moment -là, j’étais incapable de courir, j’avais des vertiges, je recevais le ballon dans la figure, je tombais, je ne savais plus où j’étais, j’étais complètement perdu…»
Droit au but, Sports Illustrated
Il me reste à vous souhaiter un très beau Noël entourés de tous ceux que vous aimez et illuminés par ces beaux livres qui vous permettront, je l’espère, d’attendre la nouvelle année avec joie, émotion et sérénité.