Lectures : Les voix de l’été
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- Frédérique Vanandrewelt - Gradisnik
- 20 juillet 2023
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Comme tous les étés, j’ai choisi pour vos vacances des romans qui m’ont particulièrement plu ces derniers mois. Des voix de femmes pour commencer qui accompagneront vos journées d’été, vous charmeront, vous impressionneront, vous toucheront et je l’espère vous feront passer de merveilleux moments de lecture.
Je vous invite donc à découvrir l’autofiction d’une fille de mineur qui nous confie l’histoire de son père, immigré marocain et la biographie romancée d’une star de la radio des années 60 racontée par sa petite-fille. Deux récits qui nous plongent dans les combats menés par des hommes et des femmes en quête d’émancipation.
• Le ventre des hommes, Samira El Ayachi
« Tu as quitté le lit du désert pour embrasser la brume du Nord. Pour l’instant, tu ne sais pas à quoi elle ressemble. Pour l’instant, tu ne sais pas à quoi elle ressemble. Pour l’instant, tu n’as pas de regrets. Pas encore. Pour elle, malgré la peur, tu as marché sur le dos de la mer. Tu as bravé l’interdiction de ton père. »
Samira El Ayachi est née à Lens, au coeur du pays minier en 1979 dans une famille immigrée marocaine. Comme Hannah, la narratrice de son roman, elle grandit dans un coron et assiste au combat de son père contre les Houillères pour obtenir un statut de mineur à part entière et les droits qui en découlent.
« Le ventre des hommes » c’est la mine bien sûr mais c’est aussi pour Samira le lien viscéral qui la lie au père dont elle découvre l’histoire quand il passe à la télévision un soir de 1987. La narratrice, institutrice placée en garde à vue au début du récit pour un acte grave semble t’il, a hérité de lui le sens de la révolte et de la lutte avec en référence le Germinal d’Emile Zola. Elle nous livre l’histoire de ce père et à travers lui, celle de presque 80 000 marocains venus extraire le charbon dans les années soixante et soixante-dix. Trois mille d’entre eux dont Mohamed se battent pour être reconnus et permettre à leurs enfants d’accéder à une vie digne.
L’auteure mêle ses souvenirs d’enfance et de jeunesse à la mémoire collective et nous permet de mieux comprendre la situation de ces travailleurs qui déjà fuyaient la sécheresse et ses conséquences en se réfugiant dans des régions qu’ils espéraient plus clémentes.
Ce récit est un superbe hommage à tous ceux qui ont quitté un jour leur terre pour venir en travailler une autre et en particulier aux pères qui ont rêvé de lumière pour leurs enfants depuis l’obscurité de ses entrailles.
• L’heure des femmes, Adèle Bréau
« Oui, tout en marchant sur le boulevard Saint-Germain, j’ai cette sensation folle que ma vie commence enfin, et qu’elle est pleine de possibilités parce que des femmes comme Ménie, et tant d’autres après elle, se sont battues pour cela. Je n’ai plus qu’à prendre mon destin en main. »
Ménie Grégoire, ce nom vous dit peut-être quelque-chose… Tous les après-midi de 1967 à 1981, la journaliste anime l’émission intitulée « Allô Ménie » sur RTL où elle donne la parole aux femmes dont elle lit aussi les lettres. Elle aborde les questions les plus intimes : famille, travail mais aussi sexualité et même les sujets les plus polémiques comme l’avortement.
Adèle Bréau a choisi le roman pour évoquer cette animatrice de radio qui était aussi sa grand-mère ; un genre qui lui permet de prendre des libertés et d’inventer des personnages et des situations inspirées de la réalité. Elle retranscrit par contre fidèlement les lettres qui servaient de support aux émissions.
Je me souviens de ces voix de femmes qui berçaient mes après-midi sans que je comprenne quoi que ce soit à ce qu’elles racontaient mais dont je devinais qu’elles confiaient d’intimes secrets à celle qui les écoutait, les rassurait et les conseillait. Le récit d’Adèle Bréau a le charme de ces émissions de radio qui témoignent d’une époque à la fois proche et déjà si lointaine.
Les deux voix suivantes s’élèvent du Proche-Orient pour témoigner de l’évolution de la condition féminine dans des sociétés patriarcales. Nadia Wassef raconte l’épopée de la création et du développement de sa librairie, Diwan, et Delphine Minoui relate la résistance de professeurs persécutés sous la présidence d’Erdogan.
• La librairie du Caire, Nadia Wassef
« Diwan était ma lettre d’amour à l’Egypte. Elle a fait partie de ma quête de moi-même, du Caire, de mon pays, et l’a alimentée. Et ce livre est ma lettre d’amour à Diwan. »
Nadia Wassef a été appelée Madame Diwan pendant plus de quinze ans et Diwan a été la grande aventure de sa vie. Mariée deux fois, divorcée deux fois, mère de deux enfants, elle se consacrera corps et âme à sa librairie, ou plutôt à sa chaîne de librairies.
En 2001, alors que leur père vient de mourir, Nadia et Hind se mettent à rêver d’ouvrir une librairie au Caire. Leur amie Nihal s’associe à elles pour faire de ce fantasme une réalité et elles remportent le défi le 8 mars 2022, Journée internationale des droits des femmes en ouvrant leur premier local rue du 26 juillet dans le quartier de Zamalek. Suivront seize succursales dont certaines fermeront mais qui assureront toutes des emplois à un certain nombre de cairotes et surtout des livres à une multitude de lecteurs en arabe, en français et en anglais.
Pour réussir son entreprise dans un pays comme l’Egypte du début de ce siècle où les hommes dominent une société régie par des principes ancestraux, il faudra beaucoup de détermination aux trois femmes qui s’opposeront à la censure, à l’intégrisme de certains et à la bêtise des autres. Nadia Wassef célèbre dans ce texte sa passion pour la littérature mais aussi son amour pour sa ville et son pays. Elle décrit avec humour et sensibilité un peuple attachant au-delà des clichés communs.
• L’alphabet du silence, Delphine Minoui
« Un entrelac de plis épars, de creux et de pleins enchevêtrés comme s’ils traçaient le début d’un chemin. Göktay promène son regard sur chaque ligne, chaque relief. Il prend le temps d’étudier l’empreinte de son bras. Celle d’un pied, de sa tête. Chaque forme semble être une forme de son monde intérieur. Comme si, au milieu du vide imposé par ses rêves asphyxiés, un ultime cri l’avait saisi dans la pénombre blafarde de sa nuit. Un alphabet du silence. »
Un professeur d’université est incarcéré avec des centaines d’autres parce qu’il a signé une pétition pour la paix. Son épouse, professeur elle aussi, tente de garder la tête hors de l’eau pour leur petite fille mais le quotidien est désespérant dans une ville rongée par la répression et la manipulation. L’espoir prend pourtant racine dans la résistance des enseignants et de leurs étudiants face à l’obscurantisme en marche. Ayla, d’abord hostile à toute forme d’engagement, reprend peu à peu le flambeau de son mari au nom de la justice et de la liberté d’expression.
La fiction se nourrit du vécu de l’auteure qui parcourt la région depuis longtemps. En 2006, elle reçoit le prix Albert Londres pour ses reportages en Iran et en Irak et intègre à plein temps Le Figaro en 2009 en tant que correspondante. Elle vit sur les rives du Bosphore depuis 2015 et traduit avec justesse et émotion les ambivalences, les paradoxes et la force d’un peuple qui se reconstruit chaque jour après chaque catastrophe qu’elle soit naturelle ou politique.
L’Alphabet du silence est un cri de colère qui résonne plus tragiquement encore après la réélection de Recep Tayyip Erdogan en mai dernier. Les espoirs de voir le centenaire de la république turque marquer un renouveau politique ont avorté et le texte de Delphine Minoui reste tristement d’actualité.
A suivre dans la suite de notre sélection d’été d’autres voix qui célèbrent l’amour sous toutes ses formes pour vous faire rêver sous le ciel d’été.